Association de Loi 1901, Carotte Production évolue dans le développement de groupe de musiques actuelles autour du management, du booking, de la résidence scénique et plus récemment de la programmation musicale (avec la salle du Foyer Le Pax). Rencontre avec Étienne Delesse, son responsable :

Question L’Agenda : As-tu toujours évolué dans la musique ?
Réponse Étienne Delesse : A la base, je suis musicien professionnel, ma famille vivait en Corse avant de s’installer à Saint-Étienne il y a longtemps déjà… J’ai suivi des activités musicales avant de rentrer dans un circuit professionnel jusqu’à mes 35 – 40 ans… L’expérience aidant, j’ai ensuite suivi une reconversion dans la partie technique de la musique avant de lancer, il y a quelques années, « ma propre maison de production », Carotte Production en 2003. Carotte Production sera ensuite suivie d’une autre structure, Inouïe Distribution…

Quel est le concept de Carotte Production ?
Carotte Production est un label qui travaille essentiellement sur le développement d’artiste… Tu as pu assister à la résidence à la Salle le Pax d’un jeune groupe ligérien prometteur The Smudges… L’idée c’est d’être au contact direct des artistes, ce qui suppose une activité marquée sur un territoire donné sans pour autant être déterminée sur un style particulier de musique. L’affectif tout d’abord et ensuite vient l’affinité musicale. On fonctionne beaucoup au coup de cœur : on voit les gens, on discute avec eux et si ça marche, on décide de faire un bout de chemin ensemble. Après, si cela fonctionne bien avec l’artiste ou le groupe, on passe à la signature d’un contrat traditionnel, à la façon d’un label qui correspond à un engagement sur la durée.

Quel est l’objectif d’Inouïe Distribution ?
L’objectif d’Inouïe Distribution, une plate-forme créée récemment, est de distribuer des albums, de manière physique et traditionnelle et de manière numérique.

Vous passez par une plate-forme internet ?
Oui à travers notre propre site mais via la plupart des sites internet spécialisés qui présentent notre catalogue musical. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, la distribution physique d’albums reste l’activité première d’Inouïe Distribution, une structure qui regroupe plusieurs labels et différents artistes. On parle, en effet, de plus en plus de la disparition programmée de l’album physique… Pourtant, on se rend compte que tout n’est pas encore perdu et qu’il reste quelques niches très ciblées. Ainsi, nous avons mis en place sur Saint-Étienne et dans sa proche périphérie un réseau de 125 points de distribution, les quelques disquaires qui résistent encore, des petits supermarchés ou commerçants à la recherche de produits locaux, quelques librairies aussi, etc. : bref, tout un réseau de gens motivés qui présentent nos petits présentoirs en bois, fabriqués maison, qui mettent en avant nos artistes. On mise avant tout sur le côté artisanal et local.

Quels sont les groupes avec lesquels vous travaillez ?
Barrio Populo, Yvan Marc, The Ligerians, Mac Abbé et le Zombi Orchestra, TD +…  Dans un premier temps, Carotte Production a surtout fonctionné par la tournée et le management d’artistes. L’activité de label est venue ensuite. Nous avons commencé avec un groupe Lyonnais, TD +, qui fait de la musique Dub.

Saint-Étienne est en effet une place Dub et Reggae…
Tout à fait, moi-même, je suis issue de cette couleur musicale. J’ai beaucoup tourné avec des groupes de Reggae. Bien sûr, on peut parler de l’influence Babylone Fighters et de la Dub Inc… Le batteur de TD + ayant participé au Babylone Fighters. L’album de TD +, « Alienation », a été la première production du label, en 2008. Puis nous avons travaillé avec Mac Abbé et Zombi Orchestra, des gens qu’on suivait depuis des années déjà… Leur projet nous a plus et nous avons signé un contrat.

Quel est précisément votre rôle ?
C’est celui d’un label classique. Pour les « artistes signés », nous établissons un contrat d’artiste dans l’aspect le plus conventionnel des choses. Nous essayons de mettre dans ce cadre de travail le maximum d’éléments permettant le développement de l’artiste. Nous essayons d’avoir un regard à 360 degrés. On essaie de développer sa carrière dans sa globalité. Cela englobe la distribution, les tournées, la promotion, la production… L’avantage d’être à Saint-Étienne et de travailler avec des artistes régionaux permet de profiter également de la salle Le Pax dont nous assurons la programmation et que nous pouvons utiliser dans le cadre des résidences. Ils peuvent répéter, enregistrer dans de bonnes conditions.

Financièrement, cela se passe comment ?
Nous avons mis quelques fonds propres au départ mais les financements proviennent essentiellement des subventions publiques et des organismes professionnels comme l’Adami, Spedidam qui permet notamment la tournée actuelle des Barrio Populo, que nous avons aussi signée, en Israël et en Palestine… La région nous a toujours suivis sur des projets spécifiques et bien entendu la ville de Saint-Étienne nous soutient également. À partir du moment où le projet présenté est pertinent, un album, un clip…, nous parvenons toujours à trouver des partenaires financiers. La ville de Saint-Étienne nous a aidés, par exemple, sur la réalisation du clip des Barrio Populo et la création du Zombi Circus Show, qui est encore un autre projet issu du Mac Abbé Zombi Orchestra qui est un show avec une quinzaine d’artistes sur scène…

La structure parvient de tourner correctement ?
Nous tournons correctement à l’échelle stéphanoise, oui. Tout reste très artisanal, il faut le rappeler. Après, je crois que cette dimension locale et artisanale nous convient parfaitement.

Avez-vous des liens avec les autres structures stéphanoises qui évoluent dans les musiques actuelles ?
Oui, bien sûr. Tout le monde se connaît à Saint-Étienne et en fonction des projets, nous sommes amenés à collaborer avec le Fil ou d’autres structures. Avec les Barrio Populo, par exemple, nous avons développé une première étape de leur spectacle scénique ici au Pax, puis dans un second temps nous avons filmé leur performance scénique toujours au Pax avant d’aller, dans un troisième temps, travailler au Fil en condition scène avant le démarrage de la tournée. La tournée Barrio, c’est 80 dates quand même…

Quelle est la programmation de la salle Le Pax ?
La programmation est un autre secteur de notre activité en effet. La salle est gérée par le foyer des jeunes travailleurs, puisqu’elle se situe en son sein. Et dans le cadre d’une convention tripartie signée avec le foyer des jeunes travailleurs et la ville de Saint-Étienne, nous intervenons, dans le cadre des activités de Carotte Production, sur la programmation musicale. Nous proposons une douzaine de concerts, avec la moitié qui concerne des artistes nationaux dits « de passage », nous avons programmé Lodjo, les Doigts de l’homme…, et une autre moitié avec des artistes locaux dont les Smudges, en choisissant des groupes en devenir, toujours dans l’idée d’œuvrer dans le cadre de leur développement.

Quel est ton objectif à terme ?
Nous essayons d’aller le plus loin possible avec Carotte Production et Inouïe Distribution. Ces deux facettes nous permettent une activité plus large et de toucher des interlocuteurs régionaux. Les difficultés que nous avions rencontrées en tant que label local concernaient la distribution de disques, du coup, grâce à Inouïe Distribution nous parviendrons peut-être à fédérer plus de gens autour de notre démarche.

Inouïe Distribution s’est inspirée du fonctionnement des Amaps. Qu’en est-il exactement ?
Nous avons mis en place également un abonnement mensuel à hauteur de 10 euros qui permet de recevoir chaque mois un album, un peu à la façon des Amaps agricoles…

Ce qui implique une certaine production ?
Oui mais nous pouvons ressortir des albums présents dans notre catalogue, cela ne concerne pas uniquement les nouvelles sorties. On peut travailler aussi avec d’autres interlocuteurs.

Cette formule d’abonnement fonctionne-t-elle ?
On commence à mettre de l’éclairage médiatique sur cette nouvelle activité mais déjà, on se rend compte de l’intérêt que suscite notre démarche, c’est sûr. C’était un projet audacieux, vouloir vendre des albums physiquement à l’heure où la musique devient immatérielle. Mais on s’appuie aussi sur un réseau de distribution efficace. On se rend compte aussi qu’il y a une forme de sursaut sur des produits spécifiques ou ciblés. On parle même de niche, oui.

Je pense notamment à l’album BD-CD que vous avez produit, « La famille Li Wang » par The Ligérians, qui combine un album BD conçu par David Mohamed et un album CD par The Ligerians…
C’est évident. Nous avons travaillé avec une autre structure, Z productions, sur ce produit particulier. Il nous a fallu une collaboration complète des labels et des artistes pour parvenir à concrétiser ce projet ambitieux. « La famille Li Wang » nous offre notamment une ouverture plus facile vers les librairies… C’est aussi un bon outil de développement.

Vos projets ?
Nous travaillons actuellement sur les seconds albums du Barrio Populo et de Mac Abbé Zombi Orchestra et nous réfléchissons beaucoup autour du format de ces 2 prochains albums. Comment imaginer un bel objet qui puisse inciter à l’achat physique du CD… Je crois qu’il y a encore des gens qui sont prêts à mettre 10 ou 20 euros dans un bel objet. Tout le monde n’achète pas sa musique seulement sur internet, en fait, nous misons beaucoup sur le relationnel et la rencontre avec le public. Il nous arrive parfois d’aller sur les marchés expliquer notre démarche et nous rencontrons beaucoup d’avis favorables. Ou de soutiens. Grâce à la dimension Amaps dont on parlait. Sans avoir communiqué, nous avons déjà des retours de gens ou de lieux qui veulent faire partie de notre réseau de distribution. C’est plutôt bon signe. Nous en sommes à 125 points pour 9 mois d’activité et nous avons déjà vendu plus de 1 000 albums avec nos modestes moyens. C’est encourageant. C’est un bon début. Et lorsqu’on se rend compte des difficultés que l’on a pu avoir, c’est pour nous et pour tous les labels, avec les distributeurs, on se dit qu’il y a quelque chose à faire là… Garder la maîtrise sur la distribution, c’est très important. Notre objectif à court terme sera aussi de faire connaître cette plate-forme d’Inouïe Distribution, grâce à la mutualisation de plusieurs labels. Nous avons déjà une dizaine de labels qui ont rejoint notre réseau… J’ai parlé de la pré-production de deux albums, prévus le mois de mai 2014 pour les Barrio Populo.

Un mot sur eux…
Nous sommes très satisfaits de leur développement… Leur album a eu pas mal de presse, dont les deux clefs de Télérama… Ils ont enchaîné une belle tournée derrière… Je pense qu’on fera peut-être quelque chose pour la sortie de leur album avec le festival Paroles et Musiques. Pour l’enregistrement de leur nouvel album, nous retournerons au Studio E à Ecotay de l’Holme, le studio de Mickaël Furnon des Mickey 3 D géré par Bruno Pretnat… Nous avions eu un excellent feeling lors de l’enregistrement du premier album. Les Barrio se sont très bien entendus avec Mickaël, qui a ensuite joué avec eux sur scène… C’est plus facile d’aller dans un lieu que l’on connaît déjà. L’infrastructure est excellente, les conditions, tout est nickel… On va essayer vraiment de soigner la production, on a prévu une quarantaine de jours de studio, quand même…

Que peut-on dire du paysage musical stéphanois ?
J’entends des choses intéressantes… Nous avons beaucoup de demandes aussi bien pour jouer au Pax que sur la production, l’accompagnement ou la distribution… On ne peut pas répondre à toutes les demandes mais je vois passer des choses très intéressantes. La scène musicale stéphanoise est effervescente. Les groupes se font et se défont. C’est plutôt bon signe. Avec Mickey 3 D, la Dub Inc., les locomotives