« Sentinelles » en 1990, « Simple mortel » en 1998, « Personne n’est parfait » en 2000… Axel Bauer est un homme, et donc un musicien, qui prend son temps. Rencontre avec le compositeur de « Cargo de nuit »…

Vos apparitions sont rares mais c’est toujours un plaisir de vous retrouver sur scène ! On peut dire que vous prenez votre temps…
Réponse Axel Bauer : C’est vrai, vous avez raison. Il y a des moments, ou plutôt, il a eu un moment dans ma vie où j’ai pris du temps. Lorsque j’ai eu 30 ans, je me suis demandé si j’avais envie de continuer à faire de la musique. J’ai eu un doute à ce moment-là… Je venais d’avoir mon fils, mes relations avec sa mère (la chanteuse Nathalie Cardone N.D.L.R.) étaient compliquées et nous avons fini par nous séparer…Pendant 4 ans, je me suis ainsi consacré à mon fils et j’ai mis la musique de côté. Cela m’a fait du bien de redevenir un homme « simple », comme tout le monde, un papa qui s’occupe de son enfant. Cela m’a permis de me ressourcer. C’est là, le vrai break que j’ai pris. Mais c’est aussi à ce moment-là que j’ai construit cette réputation de mec qui apparaît pour mieux disparaître !

Un nouvel album, « Peaux de serpent » : Doit-on en déduire qu’Axel Bauer est en train de muer ?
Si on veut. C’est un peu dans ce sens-là que j’ai choisi le titre de l’album. Il y a quelque chose de différent dans cet album qui est dû au fait que sa conception a été différente : les musiciens, les auteurs, moi aussi je suis quelqu’un de différent, j’ai changé… Plein de choses se sont passées dans ma vie, et j’ai eu vraiment la sensation d’abandonner une peau pour entrer dans une autre, que c’était la fin d’un cycle et le début d’un nouveau.

Sur cet album, des musiques un peu plus dépouillées et une voix plus grave, plus profonde…
Oui. Pendant longtemps je jouais sur scène avec des amplis très forts et là, j’ai eu envie de revenir à quelque chose de plus centré sur la voix et comme j’ai mué (rires…), ma voix est descendue dans les graves ! Cela a été aussi une « transformation de m’entendre ». J’ai même eu du mal, au départ, à accepter cette voix grave qui était aussi le fruit de l’interprétation de ces textes. C’est ces textes qui m’ont guidé dans cette « voix grave ».

Marcel Kanche, Brigitte Fontaine et Gérard Manset ont écrit certains des textes de « Peaux de serpent ». Comment les avez-vous choisis ?
C’est le fruit d’une succession de rencontres. On me parlait beaucoup de Marcel, quand j’étais chez Universal. On pensait qu’il se passerait sûrement quelque chose en travaillant avec lui mais cela ne s’est jamais fait. J’ai quitté Universal et j’ai croisé enfin Marcel par hasard. Comme on dit « le hasard fait bien les choses », puisque Marcel m’a écrit la moitié des textes, des textes sublimes que j’avais l’impression d’avoir écrits moi-même. Fort de ces maquettes, j’ai rencontré toujours par hasard Gérard Manset à qui je fais écouter ce travail réalisé avec Marcel qu’il trouve « super » et qui m’avoue souhaiter travailler avec moi sur cet album.

Un duo également avec Jean-Louis Aubert. Un titre festif, assez « marin » Comment s’est faite cette rencontre ?
Et bien là, j’avais envie de donner un coup de pouces à un artiste qui débute, qu’on ne connaît pas bien, un jeune artiste de Rock… (rires). Plus sérieusement, Jean-Louis et moi on se connaît depuis plus de 30 ans. On s’est connu adolescent et on a souvent partagé des choses ensemble sur scène, sur ses concerts ou les miens. Sur « Sentinelles », en 1990, on avait aussi partagé un trio avec Les Rita Mitsouko. Là, on est tombé sur cette chanson « Tous les hommes à la mer… en dehors de nous deux », on s’est regardé et on s’est dit qu’on allait faire ce duo qu’on avait jamais fait encore et qui était une sorte de célébration de notre amitié en fait !

30 ans plus tard, qu’est devenue la génération de pulls rayés mal rasés de « Cargo de nuit » ?
Je ne sais pas. Il faudrait le leur demander. Probablement certains se sont mariés, ont divorcé, ont eu des enfants, ont eu une vie. 30 ans… 30 ans, c’est une vie ! Je suis fier de ce morceau que je continue à entendre et qui passe encore beaucoup à la radio. À chaque fois que je l’écoute, je suis surpris en tant que spectateur. J’en reviens au cycle dont je parlais tout à l’heure, et bien j’ai l’impression que tout ce qui était vrai hier a changé aujourd’hui, on est dans une autre perception des choses. Forcément j’ai de la tendresse pour le jeune garçon marin, pull rayé, mal rasé que j’étais à 22 ans. Je trouve que cette chanson n’a pas vieilli et reste toujours aussi fraîche. J’aime à la jouer sur scène, pour le public bien sûr, mais pour moi également !

Votre public a-t-il changé ? Evolué ?
En fait, j’ai plusieurs publics…Compte tenu que j’ai été présent sur plusieurs décennies… En 1983 avec « Cargo », en 1993 avec « Eteins la lumière » et en 2003 avec « À ma place ». Aujourd’hui, je rencontre des gens qui me connaissent à travers le duo avec Zazie, qui fut également un gros succès. Ces personnes-là ont 25-30 ans et, pour certains, ne connaissent pas « Cargo », tout simplement parce qu’ils n’étaient pas nés, et qu’ils découvrent plus tard. J’ai donc une multitude de générations à mes concerts.

« Souviens-toi » est le nouveau titre extrait de votre nouvel album. Un titre autobiographique ?
Autobiographique, je ne sais pas… En fait, tout est un peu autobiographique dans ce que je fais, même si ce sont différents auteurs qui ont travaillé sur cet album, il y a beaucoup d’échanges entre nous, ils écrivent forcément en fonction de mon vécu. Ça dépend comment est perçue « Souviens-toi ». Pour moi, c’est plutôt une chanson spirituelle, issue des thèmes du Blues, façon « I’m going home », du fait de chercher sa maison et se trouver soi-même, que la vie est une longue quête de soi. Mais on peut aussi l’écouter comme une chanson d’amour toute simple…« Souviens-toi, mes bras te serraient…Remplis-les de ce corps doré… ». Le texte fait plutôt référence au corps doré du Bouddha, donc pour moi c’est plus une chanson spirituelle.

Quand vous composez les titres, vous les composez avant tout pour la scène ?
La plupart du temps, oui. Enfin je réfléchis beaucoup à la scène quand je compose ; je me projette car c’est un plaisir d’être sur scène et je souhaitais faire la même chose que sur l’album. J’aime quand il n’y a pas trop de différences entre l’album et la scène. Certains pensent l’inverse, moi je développe sur scène ce qu’est le disque, en longueur, en improvisant, grâce à des musiciens excellents ! Par exemple, on a une version d’« Éteins la lumière » qui est étonnante car on fait intervenir une espèce de pied électro et on fait de l’électro, du « noise » avec des sons de guitare sur un morceau plutôt issu des années 70, un vrai voyage dans le temps tout en retrouvant le titre de base. C’est ce que j’aime faire !

Vous êtes actuellement en tournée dans toute la France, quelle est la formation qui vous suit ?
Ce soir par exemple, on est en formation acoustique c’est-à-dire sans batterie, sans basse. Je suis avec un pianiste/clavier et un guitariste qui sont d’ailleurs les membres de mon groupe. Pour cet album, je voulais créer un cadre un peu plus intimiste pour mettre en avant les textes. Puis j’ai d’autres concerts dans des festivals, où nous sommes au complet, ce qui nous permet de jouer encore d’une autre façon les morceaux.

Vous jouez sur scène « Cherchez le garçon », titre de Daniel Darc du groupe Taxi Girl, récemment disparu. Une façon de lui rendre hommage ?
Oui mais bien plus encore. C’est aussi une façon de faire le deuil ; j’ai été bouleversé par sa disparition. On s’était rencontré alors qu’on avait 17 ans au Rose Bonbon, un club où on s’est d’ailleurs tous croisés avec Les Rita Mitsouko, Indochine… Cela m’a fait l’effet d’un flash-back… Daniel était un être assez exceptionnel, capable de « down » très très profonds et d’ « up » très très hauts. On se suivait beaucoup l’un l’autre, on s’appelait… On avait souvent l’impression qu’il allait mourir demain tant il était mal que, lorsqu’il est mort, je me suis rendu compte que je m’étais habitué à cet état de mort permanente et qu’il était devenu pour moi comme immortel…

Question plus légère : on assiste au retour des années 80 avec des tournées nostalgiques dont vous n’êtes jamais à l’affiche. Un choix ?
Oui en effet, on me l’a proposé mais c’est un choix volontaire dans le sens où je ne vis pas dans la nostalgie mais dans l’instant présent. Je ne vois pas trop ce que j’irai y faire…

Les émissions de télé-réalité musicales se multiplient. Pensez-vous que les artistes d’aujourd’hui doivent en passer par là pour se faire connaître ?
Non pas du tout. Ce ne sont que des émissions de divertissement dans lesquelles on joue un peu avec l’humain… Le niveau est quand même très haut alors finir 3e d’une telle émission… Et puis, il y a eu un « The Voice » #1 et on se demande où est passé le gagnant (rires). Du coup, je me demande quels sont les débouchés après. Au final, après tous ces télé-crochets, de la Star Ac’ à The Voice, très peu de gens font carrière, ça me pose un problème. C’est comme un gaspillage de talents, comme si la télé pouvait les utiliser, les squeezer et les jeter après. C’est un peu dur.

Une génération d’artistes « Kleenex » ?
Pas « Kleenex » mais on est dans la génération du zapping donc on est content de les voir dans un concours mais pas au point de passer le cap de l’achat d’album après. C’est, pour moi, une émission de télé avant tout certes divertissante, amusante, que je regarde parfois mais j’ai du mal à oublier l’aspect « humain ». Il me semble que l’on se grille un peu à faire ce genre d’émission si on ne termine pas dans les 2 ou 3 premiers… Certains comme Julien Doré ou Olivia Ruiz ont su tirer leur épingle du jeu et s’en sont très bien sortis mais peut-être parce qu’ils ont joué la carte du décalage…

Quelle musique écoutez-vous dans la voiture ?
J’écoute beaucoup de choses. J’ai été pris moi aussi dans le zapping musical, je consomme plus la musique de la même manière. Avant, on avait tous une chaîne stéréo, on se calait dans un canapé pour écouter un vinyle… Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’avec le streaming, on écoute beaucoup la musique différemment, sur les ordinateurs ou avec des casques… On s’attache moins à ce que l’on écoute mais on écoute beaucoup plus de choses ce qui fait que j’aurais du mal à vous dire ce que j’ai écouté hier… au moins 4-5 groupes, des nouveaux et des anciens sûrement. Ce côté « playlist » fait que l’on passe de l’un à l’autre en permanence, d’une époque et d’un style de musique à l’autre tout le temps.

Le groupe clermontois Marshmallow vous accompagne, en première partie, sur plusieurs dates de votre tournée. Racontez-nous.
J’aime bien leur côté Beatles ! Dans leurs rapports, leur psychologie, ils ont un peu le même humour que l’on a pu voir dans des films des Beatles. Ils sont à la fois drôles, brillants vocalement, dans leurs harmonies. J’ai appris que ce groupe existait depuis une dizaine d’années… ils sont très frais, très sympas et ils collent bien à notre époque.

Autre sujet, plus politique cette fois… Il y a un an de cela, vous jouiez à la Bastille pour l’élection du président François Hollande. Un an après, c’est l’anniversaire : on vous invite, vous y retournez ?
C’est un secret pour personne, si j’étais là-bas c’est que j’ai voté pour le Parti Socialiste. Je pense que ce n’est pas le moment de les lâcher même s’il y a des erreurs… La déclaration du patrimoine, c’était pas très malin… Après ce que l’on perçoit comme du manque de la part du gouvernement, est-ce réellement un manque de poigne ? Est-ce un manque de travail ou de connaissance des dossiers ? Je ne sais pas. Tous les gouvernements en place accusent le gouvernement d’avant d’avoir mis la merde dans le pays… On paie les frais d’une politique qui dure depuis des années. L’Europe change beaucoup les choses, elle a pris le pouvoir sans qu’on soit véritablement passé à l’Europe. Je ne me risquerais pas à faire quelques commentaires sur ce que fait ou pas le gouvernement. Je n’aime pas parler à tort et à travers. Certaines « unes » de presse sont particulièrement virulentes. Que ce soit Sarkozy ou Hollande, ils prennent leur mission à cœur. Je suis peut-être très naïf… L’affaire Cahuzac nous a beaucoup remués, dégoûtés même mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Il faut faire attention aux amalgames.