Quelques mots pour vous présenter ?

Je suis Jean-François Ruiz, directeur du Centre Culturel de La Ricamarie. Le Centre Culturel de La Ricamarie est une association. Elle est gérée par un conseil d’administration composé de bénévoles. Nous sommes en convention multipartite avec la ville de La Ricamarie, le Conseil Départemental de la Loire et le Conseil Régional Auvergne Rhône-Alpes.

Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?

Je suis comme beaucoup de monde dans la profession, c’est-à-dire dans l’incertitude totale. Je crois que c’est ce qui est le plus difficile dans la situation actuelle : ne pas savoir où nous allons, quand nous allons pouvoir reprendre une activité normale et accueillir de nouveau du public. Mais je ne veux pas tomber dans le pessimisme et je veux croire que très bientôt nous pourrons de nouveau nous raconter de belles histoires.

La culture est durement impactée par les conséquences du confinement. Quelle incidence pour vous ?

C’est la première fois de ma carrière que le 13 mars dernier j’ai dû appeler des spectateurs pour leur demander de ne pas venir. C’est exactement le contraire de ce que nous sommes. Notre métier c’est de tisser du lien, de créer de la rencontre, de créer du débat et la crise actuelle nous impose le contraire. Nous avons donc dû annuler toute la fin de saison. Nous n’avons reporté que 2 spectacles. L’un à la rentrée de septembre, l’autre début octobre. Nous avons fait le choix de l’annulation avec le versement d’indemnités plutôt que le report pour ne pas embouteiller la saison future et pénaliser les compagnies déjà programmées. Ce sera d’ailleurs, de mon point de vue, l’un des problèmes importants auquel les compagnies seront confrontées dans un avenir proche. Nous avons versé 100 % des cachets prévus dans les contrats de cession et pris en compte les frais administratifs. Nous avons également payé l’intégralité des salaires des techniciens intermittents avec lesquels nous travaillons et payé toutes les heures prévues pour les actions d’éducation artistique et culturelle, même lorsque les projets ont été stoppés. Nous avons joué le jeu. C’est un choix cohérent avec ce que nous sommes. Pour le public, nous avons proposé 3 options : le remboursement, l’avoir sur la saison prochaine, le don solidaire.

Qu’espérez-vous et redoutez-vous dans les jours qui viennent ?

Je ne voudrais pas que la crise sanitaire que nous connaissons et qui pénalise très fortement notre secteur d’activité débouche sur une crise culturelle dans les mois ou les années à venir. Si aujourd’hui les budgets des théâtres semblent maintenus je suis inquiet pour l’avenir. L’écosystème culturel déjà très fragile risque d’être lourdement touché. Il pèse pourtant lourd dans l’économie et les aides qu’il perçoit sont sans commune mesure avec d’autres secteurs économiques. Pour ce qui concerne les compagnies, leurs pertes sont énormes. Entre le 15 mars et le 15 juillet, la perte de chiffre d’affaires des compagnies de danse et de théâtre de la Loire se monte à près de 600 000 €. 450 représentations ont été annulées. 2 500 heures d’éducation artistique ont été supprimées représentant un manque à gagner de 128 000 €. La perte de salaire pour les artistes, techniciens et administratifs se monte à 330 000 €. Ces chiffres sont le résultat d’une enquête menée par l’association Loire en scène – qui regroupe une quinzaine de théâtres du département – auprès d’une quarantaine de compagnies ligériennes. Je l’évoquais précédemment, nous risquons d’assister à un embouteillage de propositions artistiques auxquelles nous ne pourrons pas répondre. Des résidences ont été annulées, des spectacles n’ont pas été vus. Les festivals qui n’auront pas lieu réduisent également les espaces de rencontres entre les artistes et les programmateurs. Nous aurons très certainement à gérer cette crise sanitaire encore longtemps. Les théâtres devront être à l’initiative d’une réflexion globale pour reconstruire des liens, imaginer de nouvelles formes de relations avec les compagnies et avec le public.

Nous faisons collectivement le pari que la vie culturelle va rebondir. Comment envisagez-vous la reprise de votre côté ?

S’il y a une chose dont nous sommes certains, c’est que nous ne savons rien. Nous ne pouvons donc travailler que sur des hypothèses. Pessimistes pour les uns, plus optimistes pour les autres. Pour notre part, nous avons fait le choix de lancer notre saison 20/21 avec encore plus de force que les autres années. Dans quelques jours, notre brochure de saison sera distribuée, notre communication sera plus importante que les autres années, la campagne d’abonnements débutera… La seule chose sur laquelle nous restons bloqués ce sont les actions culturelles et les réservations scolaires. Nous devrons attendre que la situation se clarifie pour imaginer des projets avec les enseignants. Néanmoins je peux dire que le Prix Kamari – qui est un prix de littérature dramatique pour la jeunesse créé l’an dernier à La Ricamarie – se développera de manière conséquente autour de 4 théâtres – le Théâtre de Roanne, de Montbrison, de L’Horme et de La Ricamarie. L’Inspection Académique et l’Institut de formation des enseignants de la Loire seront également fortement impliqués. De son côté, la ville de La Ricamarie – qui est notre principal partenaire financier – s’est mobilisée en mettant en place un fonds de soutien aux associations de la ville. Pour les associations culturelles, une aide représentant 20 % de leurs recettes de l’année sera versée d’ici l’été. C’est suffisamment rare pour être noté et, sans démagogie aucune, je suis plutôt heureux de travailler dans une ville qui nous a soutenu et encouragé lorsque nous avons pris la décision d’indemniser les compagnies et qui aujourd’hui se mobilise pour être aux côtés de ses associations en période de crise. Donc je veux être volontariste tout en restant lucide sur les difficultés et les incertitudes qui nous attendent.

Votre saison culturelle 2020/2021 est bouclée. Peut-on en dire quelques mots ?

Nous avions bouclé très tôt notre saison 20/21. Comme d’habitude nous privilégierons un théâtre d’engagement et de réflexion. Nous commençons à peine à sortir d’une période lourde qui a, je crois, durablement marqué les consciences. Nous avons donc insufflé dans cette programmation des spectacles plus légers et j’oserais dire « insouciants ». Novembre sera un mois dense avec « Crocodiles » de la compagnie Barbès 35 qui retrace l’odyssée solitaire d’un enfant parti de son village Afghan pour trouver une vie meilleure en Europe. Nous accueillerons également la nouvelle création de la compagnie stéphanoise Ballet 21 « La cinquième colonne ». Enfin nous accueillerons « Le dernier ogre » de la compagnie Le cri de l’armoire qui interroge nos « ogritudes » et nos modes de consommation alimentaire. Nous débuterons l’année 21 avec « Les sœurs K » un trio féminin de choc et extrêmement drôle. Nous poursuivrons ce mois de janvier avec la création de la compagnie Ariadne intitulée « S’engager » qui est une plongée dans ce qui motive les jeunes à s’engager dans l’armée. Ce qui est pointé dans ce spectacle c’est surtout la capacité de notre société à offrir un avenir à sa jeunesse. Et puis il y aura 2 spectacles du Théâtre de l’Incendie de Laurent Fréchuret qui sera en résidence pour 3 saisons : « Qu’est-ce que le théâtre ? » : une fable drôle et un manuel de survie en milieu théâtral, que nous jouerons en appartement, dans des salles de classe ou des locaux associatifs et « Une trop bruyante solitude » de Bohumil Hrabal qui est un formidable texte sur la censure et sur la machine à broyer la culture, et plus particulièrement la littérature, au sens propre comme au sens figuré. Nous nous interrogerons également, en mars, sur l’éthique et la philosophie du soin avec « Olivier Masson doit-il mourir ? » de la compagnie L’Harmonie communale. Un spectacle très fort et très sensible inspiré de l’affaire Vincent Lambert. Et pour conclure « Othello » de la compagnie Momus Group, mis en scène par Nathalie Royer dans lequel les grandes thématiques de Shakespeare seront servies par le rap. Il y a bien entendu des tas d’autres propositions à retrouver sur notre site internet.

Un mot, un message pour conclure ?

Si je devais m’adresser au public je dirais « Laissez vos lumières allumées ». C’est une phrase reprise d’une chanson de Loïc Lantoine, ce poète chanteur que nous avons accueilli en début de cette saison. Être confiné c’est rester bloqué dans ses peurs, ses certitudes, ses performances, les modèles qui nous sont imposés, en oubliant l’essentiel : l’humain. Donc revenez nous voir, nous avons de nouveau de belles histoires à nous raconter.